Carnets Spirales
CARNET SPIRALES #31 : LE MANTEAU
Ce matin
J’ai roulé l’été en boule
dans le coffre de l’automne
et j’ai ressorti
mon vieux manteau
en feuilles mortes
et poils de chat.
CARNET SPIRALES #30 : NOUS
Je hêtre
Tu mélèze
Elle charme
Nous chênes
Vous frênes
Ils trembles
Je biche
Tu feuille
Elle racine
Nous pelage
Vous futaie
Elles rhizomes
Je pelage
Tu callune
Il fauvette
Nous pinson
Vous canopée
Ils cloportes
Je nymphe
Tu pistil
Elle fougère
Nous mycélium
Vous couvée
Elles mue
Je mandibule
Nous bourgeons
Tu samare
Elles vibrisses
Vous duvet
Elle élytre
Nous radicelles
Ils pipistrelle
Nous langue
Nous ailes
Nous fleuve
Nous ruisseaux
Nous terre
Nous cri
Nous vie
Nous vers
Nous crocs
Nous sauvages
CARNET SPIRALES #29 : AUX OISEAUX
Merles, moineaux, mésanges, rouges-gorges, rouge-queues noirs,
pinsons des arbres, verdiers, éperviers, huppes fasciées,… ma maison est toute entière aux oiseaux.
Dès le matin, ils déplient le jour et déploient le ciel entre le canapé et le vieux poêle à bois.
C’est un grand chantier auquel tous s’affairent avec constance et fébrilité.
Chacun a sa tâche attitrée pour que les heures s’égrainent, pour que monde continue de tourner.
A toute heure, dans le salon ils tournoient sans filet.
Et peu importe la lame du froid, les mâchoires du feu, les convulsions de la terre, toujours, ils poursuivent leur mission, obstinés.
Les oiseaux sont les horlogers de nos vies.
Ils sont les métronomes entêtés du jour et de la nuit.
Les témoins insouciants de nos élans et de nos effondrements.
Le miroir de nos yeux tendus vers le plafond ou l’éternité.
Sans eux, tout disparaîtrait.
Un monde sans oiseaux serait une terre d’oubli.
La vie ne tient qu’à une plume.
Aussi, je me tiens immobile au creux du jour pour ne pas les effaroucher.
Je laisse les rouges-queues se percher sur mes paupières closes.
Un moineau habille ma solitude de sont chant.
Les mésanges ébouriffent mes certitudes.
Ma peur fendue en deux par l’épervier.
Les pinsons picorent mes sourires.
Un merle docte arpente le calme de mon crâne.
Ma vie ne tient qu’à une plume.
Par chance,
les oiseaux ne sont jamais loin.
Depuis toujours,
ils nichent
sous l’escalier
de mes omoplates gauches.
CARNET SPIRALES #28 : AKÈNES
Nos rêves sont des akènes
Qui, au hasard du vent,
Prendront peut-être racine
Au beau milieu du petit jour.
CARNET SPIRALES #28 : AU VERGER
Je fauche l’herbe au verger.
Un homme enterre son fils
La forêt exulte de mésanges
Et les mouches bourdonnent le soleil.
Une larme perle sur ta peau nue,
Peut-être l’amour qui rigole,
A moins que ce ne soit que de l’eau.
Le glas sonne au-delà des pins
Un chevreuil éclipse le jour.
Le temps enfonce son coin
Derrière chacun de nos pas.
Nous avons huit ans puis quatre-vint,
A moins que la vie
ne nous ferme les yeux bien avant.
Depuis toujours,
nous avons l’âge du monde.
La terre nous tourne la tête,
La preuve que nous sommes encore bien vivants.
Le parfum de l’herbe couchée.
CARNET SPIRALES #28 : BARQUE
J’ai trouvé
une barque renversée
sur la berge d’un songe.
A son bord,
j’ai fendu la nuit
jusqu’aux récifs aiguisés
du matin.
Tout le jour
j’en garde sur la peau
le parfum épicé
d’un rêve lointain.
CARNET SPIRALES #27 : POISSON
Mon coeur est un poisson rouge
Palpitant affolé sur le pavé
Le prendras-tu entre tes mains?
Le porteras-tu à ta bouche
Pour lui donner l’air
de rien
qui lui manquait?
CARNET SPIRALES #26 : OURS
La vie est un ours en peluche tyrannique
qui ricane à chacun de nos baisers.
Alors viens,
n’attendons pas,
n’attendons rien :
De ce vieux coffre à jouets,
faisons un grand feu de joie !
CARNET SPIRALES #25 : PIRATE
J’ai caché
près des côtes
un coffret
où sont amassés mes trésors secrets :
Le merle réveil-matin,
une plume d’enfance,
trois petits cailloux
et l’épice des pins
Le clapotis de l’été,
le chocolat sur la peau,
les mots que j’inventais
que je n’écrivais jamais
par peur d’enflammer
les forêts de papier
une croûte au genou de l’âme,
les crécelles des cigales,
le crapaud sous le sable
le renard qui bondit
sur une rognure de lune
Et, tout au fond,
dans son papier doré,
un amour
tout fondu.
Je te parle du temps où j’étais marin d’eau douce,
Où j’allais insouciant sur mon bateau
pirate au long cours de récré.
Ici je laisse pour toi cette carte.
Si le cœur t’en dit, tu iras un jour
déterrer le coffret.
CARNET SPIRALES #24 : PASSAGE
Au balcon,
la preuve ébouriffée
du passage
d’un oiseau.
CARNET SPIRALES #24 : AIGUILLEURS
Sur l’ordre du jour,
questionner
les aiguilleurs du ciel…
CARNET SPIRALES #23 : AUTREFOIS
Qu’avons-nous fait
du ciel qui autrefois tout entier
tenait entre nos mains ?
CARNET SPIRALES #22 : OISEAUX
J’ai une drôle de passion
pour les oiseaux
alors que je suis certain
qu’aucun oiseau
dans le ciel tout entier
n’a seulement une seconde
jamais rêvé de moi.
CARNET SPIRALES #21 : EN BOULE
(que j’ai trouvé roulé en boule au fond de la poche du manteau élimé de mon cœur)
CARNET SPIRALES #20 : LA CARTE
A pas lents,
déchiffrer patiemment
les points d’interrogations
sur la carte tendre
du printemps.
CARNET SPIRALES #19 : MESSAGE
Sur l’ourlet du jour,
le pic épeiche entêté
tambourinait sans cesse
son message secret :
« Aime-toi Aime-toi Aime-toi ! »
CARNET SPIRALES #18 : CONSOLATION
J’aimerais écrire un livre
qui s’intitulerait « Le livre de la consolation ».
C’est un livre
qui pourrait te prendre
entre ses bras,
toi qui l’ouvrirais,
et qui t’offrirait
au fil des mots, des phrases et des pages
ce qui te manque,
ce qui nous manque à tous,
bien trop, et bien trop souvent.
Je veux parler de la douceur.
La douceur que nous perdons fatalement
à la seconde même où nous quittons
le ventre de notre mère
et que nous passons notre vie à chercher
dans les yeux et dans les corps de nos amants, de nos amis, de nos parents.
La douceur.
Notre seule arme contre la mort et l’oubli,
les deux ombres qui se tiennent en permanence derrière nous,
même au creux de la nuit.
Surtout au creux de la nuit.
La douceur.
Pour vivre encore. Même si tout finit.
J’aimerais écrire un livre. Le livre de la consolation.
Un livre qui te prendrait entre ses bras.
Un livre qui te dirait :
« Viens. Viens contre moi, mon enfant, mon amour, mon ami.
Viens. Viens et vis. »
CARNET SPIRALES #17 : DES MESURES
Selon
un récent rapport du ministère,
nos vies ne seraient rien d’autre
que des coquilles d’escargots vides
à concasser à la va-vite
sous un mocassin velu.
Sérieux, le ministre nous l’assure :
Dès l’aube des mesures
de la semelle
seront prises.
CARNET SPIRALES #16 : LES VITRES
J’écris comme on fait les vitres.
Une fois l’an.
Pour casser la croûte de crasse
sur mes paupières closes,
chasser les hiéroglyphes moches
des chiures de mouches,
écailler l’éclair de sang
d’un rouge-gorge kamikaze,
gratter le goudron patiemment étalé
à la truelle des poumons,
dépoussiérer les toiles d’araignées
de toutes les heures perdues
à guetter un sourire, un chat, ton ombre
dans le brouillard
au fond de la rue.
J’écris
comme on fait les vitres :
Pour mieux y voir en-dedans.
Même si cinq minutes après,
j’ai beau frotter,
c’est toujours pareil :
il reste sur le verre
le soleil goguenard
des doigts poisseux
d’un enfant inconnu.
CARNET SPIRALES #15 : LE PLAFOND
Certains matins,
au réveil,
j’ai la tête
pleine des cieux.
Les omoplates
ébouriffées de plumes.
L’échine tremblante.
La peau hérissée par le présent le désir et le vent.
Certains matins,
au réveil,
il me semble
qu’il suffit
presque
de tendre la main
pour étendre des ailes
et d’un coup
d’un seul
– m’élever
être libre
en apesanteur
devenir maître
du vent de la terre
de moi-même de ma vie
de mes rêves de mes envies
de mon corps de mes angoisses de mes terreurs
des autres de leurs rires de leurs sourires de leur amour
de la laideur de la souffrance des corps vermoulus des mains tordues par la peur
des salles d’attente suffocantes des pleurs d’enfant cent fois étouffés entre deux oreillers
du verre brisé sur le trottoir des accidents de voiture au creux de la nuit du rire pâteux des chasseurs avinés
des chemins creux où je me suis couché où j’aurais voulu être mort des lames de rasoir qui glissent au coin de nos lèvres qui tailladent nos liens
des murs moches de ces villes oubliées de l’eau de javel de l’indifférence jetée sur la solitude à même le pavé du pauvre mausolée qu’on offre aux fleurs coupées
et de ces mots
ces mots qu’on n’a jamais osé prononcer
qu’on a gardés là
depuis toujours
enfermés derrière nos lèvres blêmes
parce qu’on avait peur
peur de les laisser aller
en liberté
parce que j’avais peur
peur de me laisser aller
peur de me laisser
aller
en liberté
peur
de te dire
te dire
que
je
t’ai
mais
Certains matins,
au réveil,
j’ai la tête
pleine des cieux
ça ne dure qu’un instant
j’allume une clope
je me sers un café
je regarde le plafond
tout est calme
rien
rien ne va
arriver
tout est calme
juste
le plafond
– encore
encore une journée.
CARNET SPIRALES #14 : FEU
Voilà, c’est fini.
De la nuit
Au petit matin
ne restait rien d’autre
que le trop-plein :
Le sourire jaune du cendrier
Les confettis coagulés
Et les lézardes sous nos yeux.
Ici et là, désastre.
Quelqu’un avait laissé tomber
ses larmes
dans le saladier de rhum arrangé.
Un éclat de rire un peu fêlé
égaré sous le canapé.
Le matin charbonnait
comme un premier jour d’usine
et même le chien
ressemblait à un vieux tapis équarri.
Je ne sais pas pourquoi
Je le sais très bien,
soudain,
je me suis inquiété
De voir dans leur vase,
les baisers rouges lentement se faner,
La poubelle crevée
de nos rêves débordés.
Voilà, c’est fini?
j’ai demandé
avec dans la voix
le froissement d’aile
d’un oiseau de mauvaise augure.
Toi tu es sortie de la salle de bains
Avec les cheveux mouillés et des cernes fraiches.
La fatigue te va si bien.
Tu as dit quelque chose ?
Non, rien.
Alors avec un sourire,
tu as pris ma main,
une boite d’allumettes,
tu as ouvert la porte
et dehors c’était presque le feu.
Allez viens, on va jouer.
Je t’ai suivie, léger.
Tu as la joie tranquille
des enfants pyromanes.
Avec toi
les rues ne demandent
qu’à se laisser embraser.
Encore.
CARNET SPIRALES #13 : TENDRESSE
Ce matin, à Istanbul,
une lycéenne m’a demandé
d’écrire un mot dans son livre.
Un mot pour le garçon à côté duquel elle était assise,
le garçon dont je n’ai pas entendu la voix pendant une heure,
le garçon qui l’attend maintenant à la porte,
le garçon qu’elle aime,
le garçon qui l’aime aussi, elle le sait,
et qui, lui, n’ose pas, ne sait pas,
comment le lui dire.
J’ai écrit :
Fais confiance à la tendresse du coeur,
C’est la seule richesse
Que nous possédons.
Elle a refermé le livre,
avec un grand sourire,
espérant que j’avais glissé
entre les pages une clé.
Et moi je pensais :
Quel piètre poète je fais !
Les mots, décidément,
sont bien peu de choses
pour défaire le silence
et les adultes ne sont pas plus doués
que les adolescents
pour dire les tremblements.
Quelques secondes plus tard,
le garçon est venu me voir.
Il m’a dit :
Ne pas se sentir à sa place,
c’est difficile.
Mais c’est bien aussi,
ça permet de voir le monde autrement.
Ils se sont rejoints à la porte
et ils sont partis ensemble
avec leur amour et leur désir secrets
que mes mots ne pourront jamais effleurer.
Parce que les mots, décidément,
sont bien peu de choses,
comparés à l’infinie tendresse d’un coeur…
CARNET SPIRALES #12 : BATAILLE
Un jour, elle m’a écrit :
« Tu batailles du côté de la poésie ».
J’ai bien peur
d’avoir déjà perdu la guerre,
moi qui n’ai pour seule arme
qu’un sourire cerné
– et pour seul camarade
mon cœur,
un vieux clown édenté,
un lâche,
un déserteur
sur qui
nul ne saurait compter.
CARNET SPIRALES #11 : LES RADIS
Un avion enjambe le ciel
dans un souffle de dentelle blanche,
toi, tu retrousses ta jupe
et le soleil vient fondre sur tes cuisses nues.
« Le printemps est là », tu murmures.
C’est une évidence :
les graines de radis roulent entre tes doigts
et sous ton pull, tes seins dessinent un sourire.
Si bien.
Si bien que les mots s’évanouissent sur ma page.
Jamais plus, je crois, je ne pourrai tourner
la page d’aucun livre.
Quand tu sèmes les radis,
au diable le temps, les avions,
les mots et les rimes à dix-mille pieds.
« Le printemps est là », tu murmures.
Et j’ai envie de te croire
Même si.
Même s’il y a la guerre
Même si, un jour, je le sais,
il nous faudra bien mourir,
comme ces graines
rouler dans la terre brune,
je vis
maintenant
dans le soleil de tes cuisses,
le sourire de tes seins blancs,
Et c’est ce qui nous tient là
dans ce printemps infini :
la promesse
des radis.
CARNET SPIRALES #10 : AU CIEL
Je vis comme on tombe.
Avec la pesanteur des rochers
et dans le cœur
l’absurde fragilité
d’une tasse
de porcelaine.
CARNET SPIRALES #9 : MA SŒUR
Après la pluie,
j’ai tendu sous mes pieds
Le chemin des collines.
Entre deux nuages
le soleil glissait
ses craies fauves,
barbouillait en riant
Et la plaine et la ville.
Au loin, déjà,
Des chiens écumants
Se disputaient
L’os rougi
du crépuscule.
Là-bas,
j’ai fermé les yeux :
Il est des incendies
qui de la noirceur des jours
parfois
nous lavent le cœur.
Là-bas,
j’ai pensé à toi,
ma sœur.
Toi,
je te sais sans chemin ni colline,
prisonnière de la ville.
Je te te sais
Les lèvres blanchies
par la nuit
et la nuit transie
par le cliquetis des heures.
Alors
pour toi, ma sœur,
j’ai cueilli
du bout des cils
le petit feu du ciel.
Je te l’offre ici
comme un présent,
une braise ténue
entre les doigts tremblants
de ces quelques lignes.
C’est bien peu,
je sais,
je ne suis qu’un
Prométhée de pacotille.
Mais j’espère que tu trouveras là,
ma sœur,
de quoi raviver
tes joues
et la flamme de ton rire.
CARNET SPIRALES #8 : DEBRIS
Au burin
elle brise
les sourires
qu’on brandissait
comme des drapeaux
sur les barricades
du petit jour.
A la masse,
elle fracasse
les nuits titubantes
Où on conspirait
près du feu
Contre la gravité
des nos paupières.
Au pied de biche
elle descelle
le premier baiser de nos lèvres
le café à la terrasse de l’aube
la balancelle du ciel
la grâce des oiseaux
la légèreté de nos pas
la montagne de l’automne
les fleurs des poèmes
la joie du vin
les chants de nos poitrines
et les rêves
de nos jours.
A la lame
elle cisaille
Les envols de nos mains
Le velours de ma langue
Les colchiques de tes seins
Et tous les mots d’amour
qu’on laissait voguer
dans l’onde de la baignoire
à cinq heures de l’après-midi.
Des bateaux de papier
qui faisaient de nous
des marins aux joues rosies
et qui sans peine
nous portaient
jusqu’au lendemain.
Il y a des jours,
sans éclats,
où la tristesse
nous fait miettes.
Et peaux mortes
dans l’eau du bain.
Mais je t’en fais la promesse :
bientôt
de mon visage
je chasserai la poussière,
sur tes yeux
je lécherai les cendres,
nous balaierons
ensemble
les gravats d’hier.
En dansant
sur les ruines
nous ferons sécession
de la peine et du chagrin.
Nous bâtirons
une maison sans murs, sans porte
et sans toiture
pour sur le lit
des rivières
laisser courir
et nos doigts et nos corps et le ciel.
Tu verras,
ensemble,
demain
nous remettrons
des chemins sous nos pieds
du feu dans nos poings
des baisers à nos lèvres
et la joie
à l’endroit du cœur.
CARNET SPIRALES #7 : L’ARBOUSE
L’arbouse
rougit le chemin
Un rire d’enfant
s’évapore dans la montagne
Ce matin
les sorcières
ont déserté la forêt
Ici l’automne moissonne
le chant des oiseaux
les derniers brins de lumière
Là-bas déjà
le ciel saigne au couchant
Du bout des lèvres
je te fais des promesses
de printemps
même si je sais
que bientôt l’hiver sera là
et que les pierres et le ciel et mon cœur
seront pris de givre
des mois durant
Toi, tu ris,
tu laisses glisser ta robe
sur tes chevilles
et tu ouvres les draps
Viens.
Il suffit parfois d’un mot
pour oublier nos rides, nos tremblements
et l’épaisseur de la nuit qui arrive
Viens.
Viens en moi.
Il suffit d’un seul mot
pour éloigner les ombres
pour embraser les montagnes
Il suffit d’une robe au pied d’un lit
pour faire durer le jour
pour être certain
que demain le soleil reviendra
Viens.
Et pour un soir encore
même si je me sens si vieux
je m’abandonne
aux rêves
à tes bras
au temps
avec la confiance d’un enfant
Viens
avec moi.
CARNET SPIRALES #6 : MOINEAU
Je n’ai pas hésité
avant de prendre la plume
et là, sur l’avenue,
de son tranchant
me suis désossé
le cœur.
Pourtant,
vous le savez,
il est bien plus facile
de confier ces petits animaux
aux bons soins
de l’équarrisseur,
d’enfouir les yeux dans ses poches
de peindre sur ses lèvres un sourire indolent
d’oublier tout à fait
qu’un jour
ils brillaient
dans notre poitrine
comme de si jolis
petits soleils
qu’on promenait, tout fier,
main dans la main
sur la grande avenue
de la ville.
Mais voyez-vous
j’étais curieux
de savoir jusqu’où la nuit s’étendait
de ce côté du monde
et d’un seul trait
je l’ai fendu en deux.
A l’intérieur
il n’y avait rien d’autre
qu’un moineau
aux ailes rompues
par
un café refroidi et des nuits chiffonnées et le miroir narquois
les larmes du matin le rire du cendrier et le vertige du vide
de toutes ces journées
qui me séparaient
maintenant
de toi.
Voilà comment
sans y prendre garde
prisonnière de sa cage
et de cet amour brisé
la vie
s’étiolait.
Tout l’été,
j’ai bercé l’oiseau,
du bout des lèvres
lui ai donné la becquée :
des brins de soleil
un souffle sur ma nuque
des soupirs d’oreiller
d’autres peaux
que la tienne.
A l’automne venu
j’ai ouvert les mains :
l’oiseau s’est envolé.
Je n’ai rien fait
pour le retenir.
Les oiseaux sont nés
pour le ciel
et nous autres
pour espérer.
Voilà pourquoi
vous me voyez
si souvent
perché aux arbres
dénudés
de l’avenue.
Vous, vous esquissez
un sourire un pas
de côté
le pauvre fou,
pensez-vous.
Mais je m’en moque
je reste là,
les yeux jetés au ciel
la poitrine béante
le corps écartelé
par l’attente.
Le pauvre fou,
pensez-vous
Mais je m’en moque
Vous ne savez rien
d’un cœur déserté
par les oiseaux
CARNET SPIRALES #5 : SANS SERRURE
Un matin
je serai
Sans serrure
J’ouvrirai grand
ma porte
Je traverserai
Fébrile
La ville
Heureux et indifférent
du regard
Médusé
Des passants
En fête
A la boulangerie
J’achèterai
Deux croissants
Encore chauds
Qui laisseront
Sur mes doigts
Dix baisers
A la saveur
beurre salé
Haletant
Je grimperai
quatre à quatre
les marches
de l’escalier
qui mènent
à ta chambre
sous les toits
Où toutes les nuits
J’ai rêvé
que tu te tenais
Le front
au carreau
Solitaire
transie
et nue
Une clope
entre les doigts
Où toutes les heures
A travers
les fissures de l’horloge
j’ai guetté
la fleur
de ton sein
Sous la couverture
d’un livre
Mille fois lu
Après ce long printemps
aux couleurs d’hiver
Tu tireras
le loquet
Tu entrebâilleras
Tes bras
De ta bouche,
Je lécherai le givre
Et enfin
Face à face
On mettra à nu
Nos corps
Pris de glace
Sous les draps
Peau à peau
A pleines dents
On fera des miettes
d’hier
on réchauffera
nos sangs
on mêlera
nos langues
on étouffera
nos peurs
on échevellera
le monde
On fera
Le mur
on dressera
des barricades
on livrera
bataille
Jusqu’à crier victoire
pour s’inventer
de beaux lendemains
Dans les rues, les chambres, les jardins
Nous serons cent
Nous serons des milliers
Des millions
A faire trembler ainsi
le ciel d’été
CARNET SPIRALES #4 : LES CHIENS
Nous sommes
Les chiens délaissés
Errants sans papiers
Dans les rues muselières
De vos villes en cage
Nous avons
Des poings
dans le ventre
Du feu dans la voix
Le cœur cicatrice
Et la bouche en rage
Non,
Nous ne sommes pas
Vos braves petits cabots
Marchant au pas cadencé
Dans les soirées mondaines
De vos tristes
Mausolées
Non,
Nous n’avons pas,
Nous n’avons jamais eu
L’étoffe du héros
La gueule de l’emploi
Le bon pédigrée
Nous sommes les clébards de la gare
Tout juste bons pour la corde
Trop craints pour le cadre
Trop crades pour vos trains
Zonant sur les quais
Vous pouvez toujours
Nous assigner
Sur le bitume
Aux cases et aux croix,
Aux caisses, aux piquets
Nous casser les crocs
Nous coudre la gueule
Derrière des barreaux
De vingt mètres carrés
Toujours
Nous serons
Aujourd’hui comme demain
Chiens sauvages
A l’assaut de la lune
Toujours prompts
A danser dans les rues
A vous mordre la main.
CARNET SPIRALES #3 : DANSER
Crie
crache
croûte
Je danse
Nu
Les bras en croix
Au milieu
du cratère
de l’avenue
Et j’accroche mon rire
Fou
Aux lampions
Des grands magasins
Fanés.
Crie
crache
croûte
Sur les trottoirs
Je griffe
le bitume
Gifle
le silence
Pousse mon chariot
Charrie des lambeaux
de rêves, des épaves de rires
et mon ventre creux,
Les épaules cassées
par mille tonnes
De vide.
Dans les venelles
A mon approche
Même
Les ombres s’esquivent
Je suis
le roi des décombres
le rat, le fou, le mat
Oublié, détesté et craint
de tous.
Depuis toujours
j’erre sans partage
Sous vos tours aveugles
J’encombre vos artères
vos parcs, vos terrasses
Fracasse de mon corps
– carcasse
vos bouches
clôturées.
Mais peu – n’importe
Dans la foule
toujours
Je danse
Et de l’écume d’un rire,
du velours d’une jambe
de l’or d’une paupière
Je me tricote
un toit d’étoiles
pour marcher jusqu’au matin.
Crie
crache
croûte
Aujourd’hui
Je danse
Seul
– Seul
sur les ruines
de la place des fêtes
– Seul
Au milieu des chiens
Entendez-vous?
Entendez-vous mon cri ?
Aujourd’hui
Est-ce qu’il reste
quelqu’un
ici ?
Quelqu’un
Pour me tendre la main
Danser jusqu’à demain?
CARNET SPIRALES #2 : ENFANCES
Te souviens-tu
Du regard jaune de ce renard
Immobile
Au beau milieu du chemin
Et des serments secrets
Qui furent ce jour-là
silencieusement
Échangés ?
Te souviens-tu
Du sourire méprisant
Que dessinaient
Sous la peau blême
les côtes tendues
De ce chien
Que tu avais trouvé
Mort
Jeté
au fossé ?
Te souviens-tu
Des grilles
Des vitres
Des portes
Des lames
Des poings
De tes yeux
Ensevelis
Sous l’oreiller.
Te souviens-tu
Comment tu n’as jamais pu
briser
De la bouche
du père
Le cadenas d’acier ?
Bien sûr, tu t’en souviens.
Nos enfances
Sont frappées
D’enchantements
De tremblements
De silences terrifiés.
Nous en gardons
de grossières coutures
A l’endroit
Du cœur.
CARNET SPIRALES #1 : NUE
Il fut un temps où nos rêves étaient
plus grands
que nous.
On avait au creux
des nuits des reins
des embrasements.
Du feu
au fond
du ventre.
Des hurlements
pleins
la gorge.
Des murmures
à l’ourlet
du cœur.
Et des rires
Des rires
Des rires
à lacérer l’aube.
Rien de tiède sinon nos haleines
quand je mordais ton oreille
ta nuque ton sein
jusqu’au sang,
tu t’en souviens ?
On avait
deux
mille
vingt
cinq
ans
à peine
Et rien
ne pouvait nous calmer
Que les tempêtes.
Dis-moi
Elle est où cette vague ?
Il est passé
où
Le déluge ?
Tu t’en souviens comme ça nous renversait ?
Et nos ventres, et nos sexes, et nos souffles, et tes yeux dans mes yeux.
Toi, dans moi. Et moi, tout autour de toi.
Nos corps, des rires,
A faire chialer
les étoiles.
Du feu
Au goulot même de la vie,
sur la banquette arrière
du manège du ciel.
T’en souviens-tu ?
Combien les rêves
emplissaient nos nuits
débordaient nos jours ?
Qui donc
Les a ainsi remisés?
Au fond des dossiers,
derrière des écrans,
Nos rêves,
Petites archives comptables
Lambeaux, fragments, rognures,
pièces à éviction,
nos rêves,
les rêves,
petites choses mortes
excisées de la vie,
dûment étiquetées
classées, cadenassées,
nos rêves :
petites choses
vaguement dégoûtantes
honteuses et racornies.
Qui donc ?
Qui donc sinon nous-mêmes,
du bout de nos doigts affairés
Au travers de notre seul reflet ?
Regarde
Regarde
tes yeux :
y vois-tu
autre chose
que des fleurs fanées ?
Tu vois ?
Maintenant,
Dis-moi,
toi,
le monde,
Sommes-nous déjà
si vieux
qu’il ne nous reste
que le souvenir
pour nous tenir
aujourd’hui
si peu vivants
sur l’asphalte mouillé ,
en périphérie
de la vie ?
Quoi ?
Tu pleures ?
Tu
pleures.
Allez,
Allez, l’amie,
enfin,
souris,
encore
une fois.
Allez
Viens
Éclaire ta gueule.
Mouche ton chagrin.
Maquille ta nausée.
Souffle les braises
Déchire tes bas de laine.
Ôte ton corset.
Fais-nous valser
A cent sous
l’heure
A gorges
déployées
La nuit
est encore jeune.
Nous avons
deux
mille
vingt
cinq
ans
à peine.
Allez
Viens
Glisse
ta main
Au creux
De mes reins
laisse-moi
encore
mordre ton oreille.
Ta bouche.
Ta nuque.
Ton sein.
Et si demain
existe
Au balcon de l’aube
Nue
je te prendrai.
Te montrerai
Ici
Et maintenant
comment
encore
S’embraser.
CELUI QUI N’EST PAS LÀ
Je ne suis pas là.
Je ne suis jamais là.
Je suis la chaise vide.
L’assiette creuse.
Le pain moisi.
La pendule muette.
Le portemanteau inutile.
Les bottes renversées.
La grange déserte.
L’âtre refroidi.
La rivière asséchée.
L’ambroisie.
Le ciel vide. Vide. Vide.
Je ne suis pas là.
Je ne suis jamais là.
Je t’ai écrit des lettres.
De pauvres mots.
Grattés à la crasse au temps à la viande et aux fusils.
Je t’ai envoyé des soleils.
Des promesses de lendemain.
Des bouts de peau.
A frotter contre ta peau.
Pour faire passer l’hiver.
Et la guerre.
Pour te tenir le ventre chaud.
Je t’ai menti. Je le savais, tu t’en doutais.
Mais peu importe,
notre amour était une religion.
Pour survivre, il nous fallait croire.
Mais comme en religion,
le paradis n’appartient qu’aux morts.
Maintenant je te le dis
Le ciel est aussi
vide
que ma chaise.
Je ne suis pas là
Je n’ai jamais été là.
Ma chaise a toujours été vide.
70, 14, 40, 62.
Des chiffres pour mesure l’absence.
Toi, bien sûr, tu as attendu.
Tu comptais.
Sur le dossier de ma chaise
avec le vieux canif
tu gravais dans le bois
Les jours qui séparaient nos corps.
70, 14, 40, 62.
Cent
Million
de Secondes
Et la soupe
dans ton assiette
refroidie.
Et la mienne
reste vide
Rien que je puisse faire
Pour te réchauffer.
Je ne suis pas là.
Je n’ai pas à cacher mes yeux
Pour ne pas voir l’homme qui pousse ta porte
que tu tires en dedans.
Je ne suis pas là.
Et je ne peux donc t’en vouloir.
Je suis là-bas,
dans la crasse et le sang et les tripes et la boue et les mille décombres de mes rêves.
Enseveli sous la carcasses d’un cheval mort.
Tandis que toi, mon amie
Tu te couches sous l’homme.
Tout ce sang. Toute cette viande.
Et si peu d’amour.
Et ta peau se réchauffe.
Et tu sens revenir la vie.
A la braise de ton sexe.
Les mouches bourdonnent.
Et toi tu jouis.
Les mouches bourdonnent.
Travail. Famille. Patrie.
Les mouches bourdonnent.
Mobilisation générale.
70, 14, 40, 62.
On avance, les frangins, on est partis.
Tout cette viande, ça me coupe l’appétit.
C’est drôle, moi qui n’ai que du pain moisi.
Combien de chiffres pour mesurer
l’absence dans ton lit.
Et l’assiette froide.
Et ma chaise vide
Et les croix dans le bois.
Et la table
raide
comme un tombeau.
Je ne suis pas là.
Je ne suis jamais là.
Sinon, j’aurais chanté une chanson.
En levant mon verre.
J’aurais craché sur l’empereur et les curés.
J’aurais trinqué aux rouges et à la révolution.
J’aurais foutu du feu dans ma voix.
J’aurais craché comme au fond de la mine.
J’aurais bombé le torse. Et on aurait gueulé.
Mort aux vaches ! Et vive les femmes infidèles.
Mort aux vaches ! Et vive les femmes infidèles.
Enfin, non, peut-être que j’aurais pas dit ça.
Peut-être que j’aurais déposé
un baiser sur ton front
Parce que le petit dort. Faudrait pas le réveiller.
Mais quand même.
Morts aux vaches !
On ira tous les crever.
Là-bas, tout en haut. Pays de misère et de froid.
Là-bas tout en bas. Pays de misère et de pierre.
Ou alors on restera là. On se cachera dans les forêts.
Avec nos frères les loups dont les yeux brillent à la veillée.
Et on ira voir cramer les trains dans le lointain.
Ouais, tu verras, mon amour.
Ta terre, ma terre. Comment ça pousse bien sur le sang versé.
Toi tu ne dis rien.
Tu prends ton canif.
Et tu ajoutes une croix
Sur le dossier de ma chaise.
Vide. En lambeaux
Je ne suis pas là.
Je n’ai jamais été là.
Tu as dit : Non, il n’est pas là.
Il est parti.
C’était la première fois que je voyais un bateau.
Et qu’il y avait autant d’eau entre nous.
America, America.
Je reviendrai, j’avais dit
en poussant la porte.
Je reviendrai
quand tout sera fini.
Mais voilà
Je n’ai jamais rien compris aux chiffres.
Pourtant mon père avait bien essayé de m’apprendre
Avec les 36 lambeaux de son corps
Et ses dents brisées.
Éparpillées dans la boue de ce pays du Nord.
Longitude. Latitude.
Quelles sont les coordonnées ?
70, 14, 40, 62.
Une tonne de plomb
pèsera toujours
plus lourd
qu’une tonne de nos os.
Je reviendrai.
Si je retrouve le chemin.
Mais jusqu’à combien tu pourrais compter
sur ma chaise vide ?
Je suis parti.
J’ai mis 4649 km
entre les uniformes et moi.
America America.
Mais comment mesurer l’absence.
Et la soupe qui toujours refroidit ?
Je ne suis pas là.
Qui réveillera l’âtre ?
Qui retournera la terre ?
Qui réchauffera ta peau ?
J’ai reçu ta lettre, mon amour.
Ici, tout va bien.
Je reviendrai bientôt.
Je rêve souvent.
De ta peau
Sous ton corsage.
La peau entre tes seins.
Là où nichaient les cocons.
Comment sous ma langue
elle était blonde et douce,
aussi douce que le pelage du veau.
Te caresses-tu, parfois, en pensant à moi ?
Je suis désolé d’apprendre que la vache est morte.
Que les cocons sont vides. Que la soie est déchirée.
Que la source est tarie. Que la sœur est partie.
Que l’ambroisie. Que l’ambroisie.
Ma mère, ma cousine, ma sœur.
Je ne suis jamais là. Et toi, tu t’accroches
à ce pays de misère
comme on se tient
à un bras.
Je ne suis jamais là.
Mais tout ira mieux, quand je serai revenu.
Tu verras, j’irai sur la lande d’en bas.
Labourer la terre refroidie.
Et, si Dieu nous laisse tranquille
Si les clochers poussière,
si les temples crasse
si les capitaine pantoufles
je t’emmènerai au bal du bas.
Sous les lampions, on dansera.
dans la poussière
Toi, dans ta robe blanche.
Moi et mes lambeaux de rêves.
Et toi ton ventre qui s’arrondit.
Tu sais j’ai une idée.
Peut-être bien que je pourrais pousser
la porte de la vieille école
et faire revenir des enfants par ici.
Du sang neuf
Du sang qui ne sera jamais versé.
On remettra les chiffres en ordre.
pour que demain ne se ressemble pas.
70, 14, 40, 62.
On comptera autre chose que les os.
On comptera les jours
passés à se tenir la main.
Mon amour.
Tu le sais, je compte les jours.
Et bientôt, je te le promets,
il y aura ma peau et ta peau
Attends. Oh attends-moi.
Je me caresse parfois en pensant à toi.
Mais je ne sens
que du vide.
De la chaise,
il ne reste aujourd’hui
Que des copeaux
de moi.
Et toi,
mon amour
maintenant si vieille
où reposes-tu ton dos ?
La maison est-elle encore debout ?
La porte est-elle close ?
Est-ce que tu es partie ?
Est-ce que tu as jeté la clé
dans la rivière où on se baignait?
Est-ce qu’il y a encore
quelqu’un
ici ?
(Un texte craché sur le papier à partir de témoignages recueillis en Ardèche en septembre 2014, dans le cadre du Grand Opéra du festival Essayages, avec la complicité de la dramaturge et poète Mariette Navarro, des musiciens Laura TEJADA et Franck GIRAUD du groupe Slash Gordon)