Le plafond



Certains matins,
au réveil,
j’ai la tête
pleine des cieux.
Les omoplates
ébouriffées de plumes.
L’échine tremblante.
La peau hérissée par le présent le désir et le vent.
Certains matins,
au réveil,
il me semble
qu’il suffit
presque
de tendre la main
pour étendre des ailes
et d’un coup
d’un seul
– m’élever
être libre
en apesanteur
devenir maître
du vent de la terre
de moi-même de ma vie
de mes rêves de mes envies
de mon corps de mes angoisses de mes terreurs
des autres de leurs rires de leurs sourires de leur amour
de la laideur de la souffrance des corps vermoulus des mains tordues par la peur
des salles d’attente suffocantes des pleurs d’enfant cent fois étouffés entre deux oreillers
du verre brisé sur le trottoir des accidents de voiture au creux de la nuit du rire pâteux des chasseurs avinés
des chemins creux où je me suis couché où j’aurais voulu être mort des lames de rasoir qui glissent au coin de nos lèvres qui tailladent nos liens
des cris derrière la cloison de papier de l’ivrogne qui cherche ses yeux égarés dans la flaque terne du zinc des tremblements des chatons aveugles au fond du sac
des murs moches de ces villes oubliées de l’eau de javel de l’indifférence jetée sur la solitude à même le pavé du pauvre mausolée qu’on offre sans grâce ni remords aux fleurs coupées
et de ces mots
ces mots qu’on n’a jamais osé prononcer
qu’on a gardés là
depuis toujours
enfermés derrière nos lèvres blêmes
parce qu’on avait peur
peur de les laisser aller
en liberté
parce que j’avais peur
peur de me laisser aller
peur de me laisser
aller
en liberté
peur
de te dire
te dire
que
je
t’ai
mais

Certains matins,
au réveil,
j’ai la tête
pleine des cieux
ça ne dure qu’un instant
j’allume une clope
je me sers un café
je regarde le plafond
tout est calme
rien
rien ne va
arriver
tout est calme
juste
le plafond

– encore
encore une journée.