Là-bas
Je viens de là-bas.
Là-bas, ce n’est pas très loin.
C’est tout près : là-bas, c’est ici.
Là-bas, c’est là que j’ai grandi.
Là-bas, on faisait pisser la vigne.
Là-bas, on saignait la terre.
Et souvent, il y poussait des roses.
Espagnols, polonais, marocains, kabyles, algériens, arméniens,
on partageait la gamelle en fer blanc, les parties de rugby,
les paires de baffes, l’anisette et les tours de reins.
Les rêves aussi. De faire racine entre deux pierres. Un petit lopin de terre. Un puits. Un cabanon.
Deux aubergines, une courgette, quatre tomates.
Un beau mélange.
De quoi faire chanter le ventre et le cœur de toute la famille.
Voisin, quand tu rentres ce soir,
passe donc boire un petit rosé.
On trinquera à l’avenir du petit dernier.
Et puis.
Et puis la vigne a crevé, la terre s’est desséchée, les roses ont fané.
Personne n’avait vraiment songé à les arroser.
Il n’est plus resté que le vent.
Qui mugit trois cents jours par an
Dans les ruelles lézardées de ces villes grises
Étranglées par le béton les panneaux les néons
De ces zones commerciales hideuses à en pleurer.
Le médecin est parti à la retraite.
Pour tes dents, il faudra faire sans ou cent kilomètres.
Le tableau noir de l’école a été emporté par les flots.
Plus de carte postale dans ta boite aux lettres.
L’horizon n’a jamais été aussi loin.
Grillages et barreaux
Et la télé pour unique fenêtre
Où tu regardes défiler les rêves
rêvés par d’autres que toi.
A la fin du repas
Tu ramasses en tas
entre tes mains usées
sur la nappe en toile cirée
les miettes de ton amertume
Avec pour constat :
L’avenir, c’était mieux avant.
Et la peur et la rancœur remplissent ton verre.
Tu rêves de feu. Tu rêves de sang.
Quelque chose qui te sorte de la torpeur.
Qui fasse rendre gorge à ton voisin
Qui lui s’échine à vivre, le salaud,
Avec sa tête de basané, de poète, de PD, de gouine, de drogué, de chômeur,
Sa gueule d’autre
Qui n’est pas la tienne
Qui te ressemble trop
Quand toi tu aurais envie
de tout bazarder.
Tout détruire
Parce qu’on t’a répété que tu n’étais rien,
Parce qu’à part la colère tu ne ressens plus rien,
Puisque on ne peut aller demander des comptes
A ceux qui se tiennent derrière les ors du palais.
Tout détruire, enfin.
Oublier.
Quitte à ce que ta tête
Roule entre tes mains.
Sans bruit, je pose une main sur ton épaule.
Je te dis :
On pourrait construire ensemble un nouveau cabanon.
On mettrait le rosé au frais dans le puits.
On ferait des semis. Tomates, aubergines, courgettes.
Et des rêves. D’autres rêves. Des rêves communs.
Un beau mélange.
De quoi faire chanter le ventre et le cœur de tout le quartier.
On s’inventerait un avenir de traverse
En plein cœur de la vie.
Mais en as-tu seulement envie ?
De quoi rêves-tu ?
Pour seule réponse, ce jour-là,
tu m’as dit :
quand tu seras en face,
je suis désolé,
je serai obligé
de te tuer.
Et je sais que tu ne plaisantais pas.
Alors je suis prêt.
Soyons prêts.
Plus que jamais
Nos rêves
sont un combat.