Forêts


Je ne sais comment les graines sont parvenues à entrer dans la maison.
Sans doute ont-elles voyagé dans le secret du ventre des oiseaux
qui malgré moi tissent le ciel au séjour.
Il suffit d’une rognure de soleil, d’une goutte de sang tirée d’une écharde
et elles font racine ici et là.
Sur mon oreiller. Dans une théière. Au fond d’une chaussure.
Sans logique apparente. Obstinément.
Sans bruit, des plantules percent. Croissent. Se déplient. S’étirent.
Se déploient. S’arbrent. Se lianent. Se mangrovent. S’encanopent.
Jusqu’à coloniser toutes les pièces, des tapis jusqu’aux plafonds.
Certains jours, je vis dans une forêt si profonde que je ne sais même plus
où se trouve la maison.
C’est pour cela que je garde en permanence sept cailloux
dans ma poche.
Ils me sont bien utiles quand je veux revenir sur mes pas, retrouver le chemin
qui va de la cuisine au canapé.
Il m’est arrivé de me perdre aux environs de la passoire à thé.
J’ai erré plus de neuf mois dans la touffeur des bois.
J’ai survécu en buvant dans la jupe des fleurs.
Je me suis fait carapace d’herbes et de boue.
J’ai dormi dans les flaques du soleil.
J’ai tressé ma langue à la sève, aux taillis, aux futaies.
J’en suis revenu plus sauvage que jamais.
Mon reflet dans le miroir ne m’a pas reconnu.
Je pourrais bien sûr arracher
la renouée, la passiflore, les chèvrefeuilles,
les ronces, et les clématites
qui s’entrelacent de la cave jusqu’au grenier.
Il m’arrive de le faire parfois pour ne pas me perdre tout à fait.
Mais en vérité, sans elles, je ne serais pas tout à fait moi.
J’aime quand le dehors se fait dedans.
J’aime m’égarer dans le dédale de ce qui croît.
J’ai alors la sensation de croître moi aussi, libéré des murs de la maison.
Certains jours, je vis dans une forêt si profonde.
Le reste du temps, je me contente de regarder
par la fenêtre les arbres sages du chemin.
Et j’écoute la théière s’ébrouer.