L’ami

Un ours danse dans les murs de la maison.
Il frappe son tambour, le son est si profond que les vitres en vibrent.
Il danse l’élan de l’enfant,
la rage de l’adolescent, le regard précipité de l’homme adulte,
la courbure du vieux, l’attente obstinée du vieillard,
le squelette ricanant
de la mort.
L’ours a le pelage calendaire.
Il se réveille et se défroque à pas lents.
Il danse et frappe son tambour
pour ne rien oublier des saisons.
Je plaque mes oreilles
contre le tuyau du vieux poêle à bois
pour me remplir de sa respiration.
Inspire-expire, inspire-expire
le rythme immuable
depuis que la vie est vie.
Je me remplis de son souffle.
Et les soirs où le vin déborde de ma tasse ébréchée
je tire le rideau de velours
qui me sépare des forêts
et j’invite mon frère à ma table
et nous vidons ensemble
verres sur verres
en trinquant à la vie,
au feu, aux fougères,
aux écorces, aux scarabées,
au sexe, aux sources, aux airelles,
aux amours, aux étoiles, à l’éternité,
ce qui, finalement,
revient au même.
Nous espérons tous sortir un jour de la grotte.
Nous attendons patiemment le printemps revenu.
Nous sommes deux rêveurs
prisonniers de la gueule d’un rêve
bien plus grand que nous.
Il n’y a rien d’autre à faire
qu’à briser les verres par-dessus nos épaules
étaler nos rires sous des pas de danse
nous réjouir d’être si bons amis
et cuver l’avenir et la nuit
dans le pelage de l’autre
en nous aimant ainsi,
pleins de vins et de vies.