Poézies

  • Poézies

    Feux


    Des feux brûlent dans la maison
    De loin en loin
    Pareils à des balises allumées
    pour les marins imprudents
    qui viendraient à s’aventurer là.
    Toi tu navigues dans les pièces
    les mains tendues
    pour ne pas échouer ton cœur
    aux angles obtus
    tapis dans sous la surface
    des mes recoins obscurs.
    Tu peux avoir confiance :
    Ce ne sont pas de grands feux de joie.
    Des flammèches, à peine
    Où te réchauffer la peau des paumes
    pour éloigner la morsure
    de la solitude et du froid.
    Tu erres peut-être
    entre l’oreiller et le vaisselier,
    le guéridon dentelé, le tapis du vestibule et l’album de famille,
    tu cherches une route,
    une échappatoire
    tu désespères peut-être
    de t’être aventurée dans la maison.
    Mais tu peux avoir confiance :
    J’ai allumé pour toi
    les feux qui jamais ne s’éteignent.
    Car c’est moi
    qui brûle
    là.

  • Poézies

    Là-bas



    Je viens de là-bas.
    Là-bas, ce n’est pas très loin.
    C’est tout près : là-bas, c’est ici.
    Là-bas, c’est là que j’ai grandi.
    Là-bas, on faisait pisser la vigne.
    Là-bas, on saignait la terre.
    Et souvent, il y poussait des roses.
    Espagnols, polonais, marocains, kabyles, algériens, arméniens,
    on partageait la gamelle en fer blanc, les parties de rugby,
    les paires de baffes, l’anisette et les tours de reins.
    Les rêves aussi. De faire racine entre deux pierres. Un petit lopin de terre. Un puits. Un cabanon.
    Deux aubergines, une courgette, quatre tomates.
    Un beau mélange.
    De quoi faire chanter le ventre et le cœur de toute la famille.
    Voisin, quand tu rentres ce soir,
    passe donc boire un petit rosé.
    On trinquera à l’avenir du petit dernier.
    Et puis.
    Et puis la vigne a crevé, la terre s’est desséchée, les roses ont fané.
    Personne n’avait vraiment songé à les arroser.
    Il n’est plus resté que le vent.
    Qui mugit trois cents jours par an
    Dans les ruelles lézardées de ces villes grises
    Étranglées par le béton les panneaux les néons
    De ces zones commerciales hideuses à en pleurer.
    Le médecin est parti à la retraite.
    Pour tes dents, il faudra faire sans ou cent kilomètres.
    Le tableau noir de l’école a été emporté par les flots.
    Plus de carte postale dans ta boite aux lettres.
    L’horizon n’a jamais été aussi loin.
    Grillages et barreaux
    Et la télé pour unique fenêtre
    Où tu regardes défiler les rêves
    rêvés par d’autres que toi.
    A la fin du repas
    Tu ramasses en tas
    entre tes mains usées
    sur la nappe en toile cirée
    les miettes de ton amertume
    Avec pour constat :
    L’avenir, c’était mieux avant.
    Et la peur et la rancœur remplissent ton verre.
    Tu rêves de feu. Tu rêves de sang.
    Quelque chose qui te sorte de la torpeur.
    Qui fasse rendre gorge à ton voisin
    Qui lui s’échine à vivre, le salaud,
    Avec sa tête de basané, de poète, de PD, de gouine, de drogué, de chômeur,
    Sa gueule d’autre
    Qui n’est pas la tienne
    Qui te ressemble trop
    Quand toi tu aurais envie
    de tout bazarder.
    Tout détruire
    Parce qu’on t’a répété que tu n’étais rien,
    Parce qu’à part la colère tu ne ressens plus rien,
    Puisque on ne peut aller demander des comptes
    A ceux qui se tiennent derrière les ors du palais.
    Tout détruire, enfin.
    Oublier.
    Quitte à ce que ta tête
    Roule entre tes mains.
    Sans bruit, je pose une main sur ton épaule.
    Je te dis :
    On pourrait construire ensemble un nouveau cabanon.
    On mettrait le rosé au frais dans le puits.
    On ferait des semis. Tomates, aubergines, courgettes.
    Et des rêves. D’autres rêves. Des rêves communs.
    Un beau mélange.
    De quoi faire chanter le ventre et le cœur de tout le quartier.
    On s’inventerait un avenir de traverse
    En plein cœur de la vie.
    Mais en as-tu seulement envie ?
    De quoi rêves-tu ?
    Pour seule réponse, ce jour-là,
    tu m’as dit :
    quand tu seras en face,
    je suis désolé,
    je serai obligé
    de te tuer.
    Et je sais que tu ne plaisantais pas.
    Alors je suis prêt.
    Soyons prêts.
    Plus que jamais
    Nos rêves
    sont un combat.

  • Poézies

    Forêts


    Je ne sais comment les graines sont parvenues à entrer dans la maison.
    Sans doute ont-elles voyagé dans le secret du ventre des oiseaux
    qui malgré moi tissent le ciel au séjour.
    Il suffit d’une rognure de soleil, d’une goutte de sang tirée d’une écharde
    et elles font racine ici et là.
    Sur mon oreiller. Dans une théière. Au fond d’une chaussure.
    Sans logique apparente. Obstinément.
    Sans bruit, des plantules percent. Croissent. Se déplient. S’étirent.
    Se déploient. S’arbrent. Se lianent. Se mangrovent. S’encanopent.
    Jusqu’à coloniser toutes les pièces, des tapis jusqu’aux plafonds.
    Certains jours, je vis dans une forêt si profonde que je ne sais même plus
    où se trouve la maison.
    C’est pour cela que je garde en permanence sept cailloux
    dans ma poche.
    Ils me sont bien utiles quand je veux revenir sur mes pas, retrouver le chemin
    qui va de la cuisine au canapé.
    Il m’est arrivé de me perdre aux environs de la passoire à thé.
    J’ai erré plus de neuf mois dans la touffeur des bois.
    J’ai survécu en buvant dans la jupe des fleurs.
    Je me suis fait carapace d’herbes et de boue.
    J’ai dormi dans les flaques du soleil.
    J’ai tressé ma langue à la sève, aux taillis, aux futaies.
    J’en suis revenu plus sauvage que jamais.
    Mon reflet dans le miroir ne m’a pas reconnu.
    Je pourrais bien sûr arracher
    la renouée, la passiflore, les chèvrefeuilles,
    les ronces, et les clématites
    qui s’entrelacent de la cave jusqu’au grenier.
    Il m’arrive de le faire parfois pour ne pas me perdre tout à fait.
    Mais en vérité, sans elles, je ne serais pas tout à fait moi.
    J’aime quand le dehors se fait dedans.
    J’aime m’égarer dans le dédale de ce qui croît.
    J’ai alors la sensation de croître moi aussi, libéré des murs de la maison.
    Certains jours, je vis dans une forêt si profonde.
    Le reste du temps, je me contente de regarder
    par la fenêtre les arbres sages du chemin.
    Et j’écoute la théière s’ébrouer.

  • Poézies

    L’ami

    Un ours danse dans les murs de la maison.
    Il frappe son tambour, le son est si profond que les vitres en vibrent.
    Il danse l’élan de l’enfant,
    la rage de l’adolescent, le regard précipité de l’homme adulte,
    la courbure du vieux, l’attente obstinée du vieillard,
    le squelette ricanant
    de la mort.
    L’ours a le pelage calendaire.
    Il se réveille et se défroque à pas lents.
    Il danse et frappe son tambour
    pour ne rien oublier des saisons.
    Je plaque mes oreilles
    contre le tuyau du vieux poêle à bois
    pour me remplir de sa respiration.
    Inspire-expire, inspire-expire
    le rythme immuable
    depuis que la vie est vie.
    Je me remplis de son souffle.
    Et les soirs où le vin déborde de ma tasse ébréchée
    je tire le rideau de velours
    qui me sépare des forêts
    et j’invite mon frère à ma table
    et nous vidons ensemble
    verres sur verres
    en trinquant à la vie,
    au feu, aux fougères,
    aux écorces, aux scarabées,
    au sexe, aux sources, aux airelles,
    aux amours, aux étoiles, à l’éternité,
    ce qui, finalement,
    revient au même.
    Nous espérons tous sortir un jour de la grotte.
    Nous attendons patiemment le printemps revenu.
    Nous sommes deux rêveurs
    prisonniers de la gueule d’un rêve
    bien plus grand que nous.
    Il n’y a rien d’autre à faire
    qu’à briser les verres par-dessus nos épaules
    étaler nos rires sous des pas de danse
    nous réjouir d’être si bons amis
    et cuver l’avenir et la nuit
    dans le pelage de l’autre
    en nous aimant ainsi,
    pleins de vins et de vies.

  • Poézies

    La Maison des Oiseaux



    Merles, moineaux, mésanges, rouges-gorges, rouge-queues noirs,
    pinsons des arbres, verdiers, éperviers, huppes fasciées,… ma maison est toute entière aux oiseaux.
    Dès le matin, ils déplient le jour et déploient le ciel entre le canapé et le vieux poêle à bois.
    C’est un grand chantier auquel tous s’affairent avec constance et fébrilité.
    Chacun a sa tâche attitrée pour que le temps s’égraine, pour que monde continue de tourner.
    A toute heure, dans le salon ils tournoient sans filet.
    Et peu importe la lame du froid, les mâchoires du feu, les convulsions de la terre,
    toujours, ils poursuivent leur mission, obstinés.
    Les oiseaux sont les horlogers de nos vies.Ils sont les métronomes entêtés du jour et de la nuit.
    Les témoins insouciants de nos élans et de nos effondrements.
    Le miroir de nos yeux tendus vers le plafond ou l’éternité.
    Sans eux, tout disparaîtrait.
    Un monde sans oiseaux serait une terre d’oubli.
    La vie ne tient qu’à une plume.
    Aussi, je me tiens immobile au creux du jour pour ne pas les effaroucher.
    Je laisse les rouges-queues se percher sur mes paupières closes.
    De sont chant, un moineau habille ma solitude.
    Les mésanges ébouriffent mes certitudes.
    Ma peur fendue en deux par l’épervier.
    Les pinsons picorent mes sourires.
    Un merle docte arpente le calme de mon crâne.
    Ma vie ne tient qu’à une plume.
    Par chance,les oiseaux ne sont jamais loin.
    Depuis toujours,
    ils nichent sous l’escalier
    de mes omoplates gauches.