Poézies
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Consolation
J’aimerais écrire un livre
qui s’intitulerait « Le livre de la consolation ».
C’est un livre
qui pourrait te prendre
entre ses bras,
toi qui l’ouvrirais,
et qui t’offrirait
au fil des mots, des phrases et des pages
ce qui te manque,
ce qui nous manque à tous,
bien trop, et bien trop souvent.
Je veux parler de la douceur.
La douceur que nous perdons fatalement
à la seconde même où nous quittons
le ventre de notre mère
et que nous passons notre vie à chercher
dans les yeux et dans les corps de nos amants, de nos amis, de nos parents.
La douceur.
Notre seule arme contre la mort et l’oubli,
les deux ombres qui se tiennent en permanence derrière nous,
même au creux de la nuit.
Surtout au creux de la nuit.
La douceur.
Pour vivre encore. Même si tout finit.
J’aimerais écrire un livre. Le livre de la consolation.
Un livre qui te prendrait entre ses bras.
Un livre qui te dirait :
« Viens. Viens contre moi, mon enfant, mon amour, mon ami.
Viens. Viens et vis. » -
Toujours les oiseaux
J’ai une drôle de passion
pour les oiseaux
alors que je suis certain
qu’aucun oiseau
dans le ciel tout entier
n’a seulement une seconde
jamais rêvé de moi. -
Des mesures
Selon
un récent rapport du ministère,
nos vies ne seraient rien d’autre
que des coquilles d’escargots vides
à concasser à la va-vite
sous un mocassin velu.
Sérieux, le ministre nous l’assure :
Dès l’aube des mesures
de la semelle
seront prises. -
Les vitres
J’écris comme on fait les vitres.
Une fois l’an.
Pour casser la croûte de crasse
sur mes paupières closes,
chasser les hiéroglyphes moches
des chiures de mouches,
écailler l’éclair de sang
d’un rouge-gorge kamikaze,
gratter le goudron patiemment étalé
à la truelle des poumons,
dépoussiérer les toiles d’araignées
de toutes les heures perdues
à guetter un sourire, un chat, ton ombre
dans le brouillard
au fond de la rue.J’écris
comme on fait les vitres :
Pour mieux y voir en-dedans.
Même si cinq minutes après,
j’ai beau frotter,
c’est toujours pareil :
il reste sur le verre
le soleil goguenard
des doigts poisseux
d’un enfant inconnu. -
Le plafond
Certains matins,
au réveil,
j’ai la tête
pleine des cieux.
Les omoplates
ébouriffées de plumes.
L’échine tremblante.
La peau hérissée par le présent le désir et le vent.
Certains matins,
au réveil,
il me semble
qu’il suffit
presque
de tendre la main
pour étendre des ailes
et d’un coup
d’un seul
– m’élever
être libre
en apesanteur
devenir maître
du vent de la terre
de moi-même de ma vie
de mes rêves de mes envies
de mon corps de mes angoisses de mes terreurs
des autres de leurs rires de leurs sourires de leur amour
de la laideur de la souffrance des corps vermoulus des mains tordues par la peur
des salles d’attente suffocantes des pleurs d’enfant cent fois étouffés entre deux oreillers
du verre brisé sur le trottoir des accidents de voiture au creux de la nuit du rire pâteux des chasseurs avinés
des chemins creux où je me suis couché où j’aurais voulu être mort des lames de rasoir qui glissent au coin de nos lèvres qui tailladent nos liens
des cris derrière la cloison de papier de l’ivrogne qui cherche ses yeux égarés dans la flaque terne du zinc des tremblements des chatons aveugles au fond du sac
des murs moches de ces villes oubliées de l’eau de javel de l’indifférence jetée sur la solitude à même le pavé du pauvre mausolée qu’on offre sans grâce ni remords aux fleurs coupées
et de ces mots
ces mots qu’on n’a jamais osé prononcer
qu’on a gardés là
depuis toujours
enfermés derrière nos lèvres blêmes
parce qu’on avait peur
peur de les laisser aller
en liberté
parce que j’avais peur
peur de me laisser aller
peur de me laisser
aller
en liberté
peur
de te dire
te dire
que
je
t’ai
maisCertains matins,
au réveil,
j’ai la tête
pleine des cieux
ça ne dure qu’un instant
j’allume une clope
je me sers un café
je regarde le plafond
tout est calme
rien
rien ne va
arriver
tout est calme
juste
le plafond– encore
encore une journée.