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L’ami
Un ours danse dans les murs de la maison.
Il frappe son tambour, le son est si profond que les vitres en vibrent.
Il danse l’élan de l’enfant,
la rage de l’adolescent, le regard précipité de l’homme adulte,
la courbure du vieux, l’attente obstinée du vieillard,
le squelette ricanant
de la mort.
L’ours a le pelage calendaire.
Il se réveille et se défroque à pas lents.
Il danse et frappe son tambour
pour ne rien oublier des saisons.
Je plaque mes oreilles
contre le tuyau du vieux poêle à bois
pour me remplir de sa respiration.
Inspire-expire, inspire-expire
le rythme immuable
depuis que la vie est vie.
Je me remplis de son souffle.
Et les soirs où le vin déborde de ma tasse ébréchée
je tire le rideau de velours
qui me sépare des forêts
et j’invite mon frère à ma table
et nous vidons ensemble
verres sur verres
en trinquant à la vie,
au feu, aux fougères,
aux écorces, aux scarabées,
au sexe, aux sources, aux airelles,
aux amours, aux étoiles, à l’éternité,
ce qui, finalement,
revient au même.
Nous espérons tous sortir un jour de la grotte.
Nous attendons patiemment le printemps revenu.
Nous sommes deux rêveurs
prisonniers de la gueule d’un rêve
bien plus grand que nous.
Il n’y a rien d’autre à faire
qu’à briser les verres par-dessus nos épaules
étaler nos rires sous des pas de danse
nous réjouir d’être si bons amis
et cuver l’avenir et la nuit
dans le pelage de l’autre
en nous aimant ainsi,
pleins de vins et de vies. -
La Maison des Oiseaux
Merles, moineaux, mésanges, rouges-gorges, rouge-queues noirs,
pinsons des arbres, verdiers, éperviers, huppes fasciées,… ma maison est toute entière aux oiseaux.
Dès le matin, ils déplient le jour et déploient le ciel entre le canapé et le vieux poêle à bois.
C’est un grand chantier auquel tous s’affairent avec constance et fébrilité.
Chacun a sa tâche attitrée pour que le temps s’égraine, pour que monde continue de tourner.
A toute heure, dans le salon ils tournoient sans filet.
Et peu importe la lame du froid, les mâchoires du feu, les convulsions de la terre,
toujours, ils poursuivent leur mission, obstinés.
Les oiseaux sont les horlogers de nos vies.Ils sont les métronomes entêtés du jour et de la nuit.
Les témoins insouciants de nos élans et de nos effondrements.
Le miroir de nos yeux tendus vers le plafond ou l’éternité.
Sans eux, tout disparaîtrait.
Un monde sans oiseaux serait une terre d’oubli.
La vie ne tient qu’à une plume.
Aussi, je me tiens immobile au creux du jour pour ne pas les effaroucher.
Je laisse les rouges-queues se percher sur mes paupières closes.
De sont chant, un moineau habille ma solitude.
Les mésanges ébouriffent mes certitudes.
Ma peur fendue en deux par l’épervier.
Les pinsons picorent mes sourires.
Un merle docte arpente le calme de mon crâne.
Ma vie ne tient qu’à une plume.
Par chance,les oiseaux ne sont jamais loin.
Depuis toujours,
ils nichent sous l’escalier
de mes omoplates gauches. -
Au verger
Je fauche l’herbe au verger.
Un homme enterre son fils
La forêt exulte de mésanges
Et les mouches bourdonnent le soleil.
Une larme perle sur ta peau nue,
Peut-être l’amour qui rigole,
A moins que ce ne soit que de l’eau.
Le glas sonne au-delà des pins
Un chevreuil éclipse le jour.
Le temps enfonce son coin
Derrière chacun de nos pas.
Nous avons huit ans puis quatre-vingt,
A moins que la vie
ne nous ferme les yeux bien avant.
Depuis toujours,
nous avons l’âge du monde.
La terre nous tourne la tête,
La preuve que nous sommes encore bien vivants.
Le parfum de l’herbe couchée. -
Barque
J’ai trouvé
une barque renversée
sur la berge d’un songe.
A son bord,
j’ai fendu la nuit
jusqu’aux récifs aiguisés
du matin.
Tout le jour
j’en garde sur la peau
le parfum épicé
d’un rêve lointain. -
Poisson
Mon cœur est un poisson rouge
Palpitant affolé sur le pavé.
Le prendras-tu entre tes mains ?
Le porteras-tu à ta bouche
Pour lui donner l’air
de rien
qui lui manquait ?