• Poézies

    L’ami

    Un ours danse dans les murs de la maison.
    Il frappe son tambour, le son est si profond que les vitres en vibrent.
    Il danse l’élan de l’enfant,
    la rage de l’adolescent, le regard précipité de l’homme adulte,
    la courbure du vieux, l’attente obstinée du vieillard,
    le squelette ricanant
    de la mort.
    L’ours a le pelage calendaire.
    Il se réveille et se défroque à pas lents.
    Il danse et frappe son tambour
    pour ne rien oublier des saisons.
    Je plaque mes oreilles
    contre le tuyau du vieux poêle à bois
    pour me remplir de sa respiration.
    Inspire-expire, inspire-expire
    le rythme immuable
    depuis que la vie est vie.
    Je me remplis de son souffle.
    Et les soirs où le vin déborde de ma tasse ébréchée
    je tire le rideau de velours
    qui me sépare des forêts
    et j’invite mon frère à ma table
    et nous vidons ensemble
    verres sur verres
    en trinquant à la vie,
    au feu, aux fougères,
    aux écorces, aux scarabées,
    au sexe, aux sources, aux airelles,
    aux amours, aux étoiles, à l’éternité,
    ce qui, finalement,
    revient au même.
    Nous espérons tous sortir un jour de la grotte.
    Nous attendons patiemment le printemps revenu.
    Nous sommes deux rêveurs
    prisonniers de la gueule d’un rêve
    bien plus grand que nous.
    Il n’y a rien d’autre à faire
    qu’à briser les verres par-dessus nos épaules
    étaler nos rires sous des pas de danse
    nous réjouir d’être si bons amis
    et cuver l’avenir et la nuit
    dans le pelage de l’autre
    en nous aimant ainsi,
    pleins de vins et de vies.

  • Poézies

    La Maison des Oiseaux



    Merles, moineaux, mésanges, rouges-gorges, rouge-queues noirs,
    pinsons des arbres, verdiers, éperviers, huppes fasciées,… ma maison est toute entière aux oiseaux.
    Dès le matin, ils déplient le jour et déploient le ciel entre le canapé et le vieux poêle à bois.
    C’est un grand chantier auquel tous s’affairent avec constance et fébrilité.
    Chacun a sa tâche attitrée pour que le temps s’égraine, pour que monde continue de tourner.
    A toute heure, dans le salon ils tournoient sans filet.
    Et peu importe la lame du froid, les mâchoires du feu, les convulsions de la terre,
    toujours, ils poursuivent leur mission, obstinés.
    Les oiseaux sont les horlogers de nos vies.Ils sont les métronomes entêtés du jour et de la nuit.
    Les témoins insouciants de nos élans et de nos effondrements.
    Le miroir de nos yeux tendus vers le plafond ou l’éternité.
    Sans eux, tout disparaîtrait.
    Un monde sans oiseaux serait une terre d’oubli.
    La vie ne tient qu’à une plume.
    Aussi, je me tiens immobile au creux du jour pour ne pas les effaroucher.
    Je laisse les rouges-queues se percher sur mes paupières closes.
    De sont chant, un moineau habille ma solitude.
    Les mésanges ébouriffent mes certitudes.
    Ma peur fendue en deux par l’épervier.
    Les pinsons picorent mes sourires.
    Un merle docte arpente le calme de mon crâne.
    Ma vie ne tient qu’à une plume.
    Par chance,les oiseaux ne sont jamais loin.
    Depuis toujours,
    ils nichent sous l’escalier
    de mes omoplates gauches.

  • Poézies

    Au verger


    Je fauche l’herbe au verger.
    Un homme enterre son fils
    La forêt exulte de mésanges
    Et les mouches bourdonnent le soleil.
    Une larme perle sur ta peau nue,
    Peut-être l’amour qui rigole,
    A moins que ce ne soit que de l’eau.
    Le glas sonne au-delà des pins
    Un chevreuil éclipse le jour.
    Le temps enfonce son coin
    Derrière chacun de nos pas.
    Nous avons huit ans puis quatre-vingt,
    A moins que la vie
    ne nous ferme les yeux bien avant.
    Depuis toujours,
    nous avons l’âge du monde.
    La terre nous tourne la tête,
    La preuve que nous sommes encore bien vivants.
    Le parfum de l’herbe couchée.

  • Poézies

    Barque


    J’ai trouvé
    une barque renversée
    sur la berge d’un songe.
    A son bord,
    j’ai fendu la nuit
    jusqu’aux récifs aiguisés
    du matin.
    Tout le jour
    j’en garde sur la peau
    le parfum épicé
    d’un rêve lointain.

  • Poézies

    Poisson


    Mon cœur est un poisson rouge
    Palpitant affolé sur le pavé.
    Le prendras-tu entre tes mains ?
    Le porteras-tu à ta bouche
    Pour lui donner l’air
    de rien
    qui lui manquait ?